« Maximiser le pâturage pour alléger la charge de travail »
Dans les Côtes-d’Armor, l’exemple de Charles et Jean-Marie montre que le choix d’un système d’alimentation herbager pâturant, sur le modèle promu par le Cedapa, contribue à la transmissibilité d’une exploitation.
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L’installation de Charles Leconte (33 ans) et de Jean-Marie Diridollou (40 ans) est l’histoire de la rencontre entre deux jeunes hors cadre familial, non issus d’une famille d’agriculteurs, et de trois cédants qui ont anticipé leur départ à la retraite, avec la volonté de faciliter la transmission de leur exploitation.
Sur la base d’un système d’élevage conventionnel, avec un troupeau holstein à 8 500 litres de lait, bénéficiant d’un parcellaire bien regroupé, la passation s’est faite progressivement. Depuis le début de l’année, les deux jeunes éleveurs sont désormais seuls à la tête d’un troupeau de 65 vaches laitières bio en monotraite, conduites à l’herbe 365 jours par an. « Nous avons eu la chance que les cédants restent impliqués jusqu’au bout. Ils nous ont transmis leur savoir et accompagné dans les changements que nous souhaitions mettre en œuvre. Aujourd’hui, nous savons où nous allons, notre système est déjà presque en routine d’un point de vue technique », se félicitent Charles et Jean-Marie.
Le choix de la qualité de vie à deux associés
Ingénieur de formation spécialisé en productions animales, Charles est le premier à s’installer : officiellement le 1er février 2021. Trois ans plus tôt, il nouait les premiers contacts avec les cédants. Dans l’intervalle, il travaille au service de remplacement, puis en groupement d’employeurs, notamment auprès d’adhérents du Cedapa (Centre d’études pour un développement agricole plus autonome). « Cela m’a permis d’acquérir une expérience pratique et de conforter ma volonté de m’installer dans un système d’élevage laitier pâturant », assure-t-il. Avant de concrétiser son projet, il fait un stage de parrainage d’un an sur la ferme, à l’issue duquel il va remplacer un des trois associés cédants et débuter la conversion bio.
Il est rejoint trois ans plus tard par Jean-Marie. De formation BTSA, suivi d’un CS lait, celui-ci prend également contact par l’intermédiaire du répertoire départemental à l’installation. Comme Charles, son expérience de salarié lui a permis d’affiner son projet : « J’ai beaucoup appris et développé une appétence pour des systèmes autonomes et herbagers pour lesquels je voyais autant l’intérêt zootechnique qu’économique. Avec son parcellaire à proximité des bâtiments, l’exploitation correspondait à mes attentes. » Père de trois enfants, Jean-Marie partage avec Charles l’ambition d’être éleveur avec du temps libre, des activités hors de la ferme. Avant de s’installer, il va aussi faire une année de parrainage sur la ferme. Le temps de réfléchir à une organisation permettant de passer de trois à deux associés sans alourdir la charge de travail. C’est l’option de la monotraite qui sera retenue et mise en place dès l’été 2023.
Une transmission idéale hors cadre familial
Les deux cédants encore en activité ont validé leur départ à la retraite avec l’arrivée de Jean-Marie, le 1er février 2024, non sans avoir accompagné cette évolution du mode de production désormais certifié AB. « Tous les changements se sont faits dans le dialogue et la bienveillance, en s’appuyant sur des éléments chiffrés, même si la monotraite a été un peu plus difficile à accepter », sourient les deux jeunes. La reprise s’élève à 440 k€. Cela comprend le troupeau, le matériel et les bâtiments. Pour réduire le coût, les cédants ont sorti le foncier dans un groupement foncier agricole (GFA).
Les jeunes ont emprunté à titre personnel 86 000 € et 79 000 €, et le Gaec a emprunté pour payer les comptes courants associés. « Le coût de la reprise a été évalué en fonction de la valeur patrimoniale, mais aussi économique de l’exploitation, c’est-à-dire de la capacité de remboursement permise par l’activité de l’exploitation. Nous avons ainsi bénéficié de conditions de transmission idéales, d’une structure avec peu d’annuités et avec un montant de comptes courants associés auxquels l’activité de la ferme, déjà engagée dans une stratégie de réduction de charge, pouvait faire face. »
365 jours de pâturage par an
Cette stratégie s’appuie sur 67 hectares d’herbe accessibles et un contexte pédoclimatique favorable au pâturage (climat océanique, terres portantes). 5 ha de maïs ensilage sont emblavés pour l’alimentation en période hivernale et les transitions estivales, mais aussi pour conserver une rotation permettant de renouveler les prairies avec des mélanges multi-espèces intégrant de la luzerne, du lotier, du dactyle et de la fétuque, en plus de l’incontournable RGA-TB. Car la pluviométrie locale de 650 à 700 mm/an implique ici aussi une adaptation aux périodes de sécheresse. Le recours à l’ETA pour les semis et les récoltes, associé au peu de matériel en propriété (2 tracteurs, pailleuse, mélangeuse, andaineuse et faneuse) contribuent par ailleurs à limiter le coût de la reprise.
Le troupeau est conduit en vêlages étalés, avec un petit pic d’été, pour une meilleure régularité des livraisons de lait, mais aussi pour lisser le travail sur l’année et libérer du temps. À partir du troupeau holstein initial, les éleveurs misent désormais sur le croisement trois voies : brune x normande x rouge scandinave. « L’idée est de mieux valoriser le produit viande et d’apporter de la rusticité et donc des performances de reproduction. » Le suivi, intégrant des échographies à 35 et à 60 jours, révèle que la monotraite n’a pas pénalisé les résultats, au contraire : 1,5 paillette/IA fécondante, 96 jours d’intervalle vêlage/IA fécondante et 384 jours d’IVV.
Une alimentation sans concentré
Vingt-cinq vaches sont inséminées avec des taureaux laitiers pour assurer un renouvellement d’une dizaine de génisses par an. Celles-ci, avec quatre ou cinq veaux mâles commercialisés en caissette, sont élevées sous leur mère au sein du troupeau jusqu’au sevrage. « Cette pratique répond à notre volonté de réduire le temps de travail, tout en permettant de faire l’impasse sur un investissement nurserie. Elle donne en plus une image positive de la ferme vis-à-vis de notre voisinage. » Après le sevrage, les génisses sont élevées en hiver en stabulation avec une ration foin + ensilage d’herbe et, en saison de pâturage, tournent sur 10 ha de prairie avec les taries. La mise à la reproduction commence à 15 mois, pour un âge au premier vêlage de 26 mois en moyenne sans apport de concentré.
L’alimentation des laitières est aussi exempte de concentrés. En hiver, elles tournent sur toute la surface en herbe accessible, soit une ingestion d’herbe de 2 kg de MS/vache/jour permise par une pousse de l’ordre de 10 kg de MS/ha/jour dans un environnement avec très peu de jours de gel. Cet apport d’herbe fraîche est en quelque sorte le concentré d’une ration composée de 12 kg d’ensilage d’herbe + 4 kg de maïs ensilage. En hiver, le pâturage tournant, en jonglant avec la portance des différentes parcelles, assure à chacune un temps de repos de deux mois. Il fait aussi office de déprimage avant la pleine pousse de l’herbe du printemps et une alimentation 100 % pâturée, sur environ 40 ares/vache divisés en paddocks de deux jours d’1 ha, avec des temps de repousse de six semaines.
Une semaine de travail de cinq jours
Les dix hectares les plus éloignés sont consacrés à la fauche et des parcelles sont par ailleurs débrayées au printemps : cette année, 28 ha ensilés et 8 ha d’enrubannés. Lorsque la pousse d’herbe ralentit, l’apport d’enrubannage permet de maintenir les temps de repousse et de faire du stock sur pied. « Cette année, nous avons distribué un tiers de ration à l’auge dès la mi-juin. C’est très variable selon les années, c’est pour cela que nous faisons encore évoluer nos pratiques avec le semis de prairies multi-espèces, ou la constitution de stock sur pied, afin de prolonger au maximum le pâturage au lieu de faire du stock. En ce sens, la participation au groupe d’échange du Cedapa est importante, pour confronter nos situations et profiter de l’expérience de chacun », soulignent les éleveurs. Les résultats de janvier à juillet permettent d’ores et déjà de faire des prévisions pour l’ensemble de l’exercice 2024 : plus de 250 000 litres de lait bio livré, un coût alimentaire de 73 €/1 000 litres et un EBE de 60 000 € par associé. Ce système d’alimentation, avec moins de 10 % de maïs, est valorisé par la signature d’une Maec herbivore de niveau 3, qui prévoit une rémunération de 233 €/ha pendant cinq ans. Conformément à leurs aspirations, il permet aussi aux deux associés de prendre trois semaines de vacances cet été et de se libérer un week-end et un mercredi sur deux. « La qualité de vie est notre leitmotiv à tous les deux. Nous sommes passionnés, mais il y a besoin de pouvoir couper un peu pour préserver cette passion », jugent-ils.
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